melanos : l'afrique sur la peau
"Je suis ce que le temps, les circonstances, l'histoire ont fait de moi, c'est certain ; mais je suis, aussi, beaucoup plus que ça. Comme nous tous."
- James Baldwin
MÉLANINE [du grec melanos, noir]: Pigments de couleur foncée (du noir jusqu'au brun, tirant sur le rouge) se trouvant dans la peau, les poils, les cheveux et la membrane de l'oeil.
C'est donc tout sauf une /malédiction/.
Pour Niouma, comme pour bon nombre d'entre ceux qui sont le fruit d'un grand voyage entre les continents, être noire, c'est peindre de sa couleur le monde qui l'entoure. C'est se voir toujours un peu différemment de ce qu'on perçoit dans le miroir qu'on ne cesse de nous tendre. "Tu es trop ci...", "trop ça...", "pas assez ci", "trop comme ça"... C'est se rendre compte qu'on vit individuellement et collectivement, à un moment de notre vie, cette peur, cette angoisse de n'être pas "assez africain" là-bas, ou trop "noir pour être français" ici.
Avoir "l'Afrique sur la peau" quand on naît en Occident, c'est vivre dans un paradoxe entre une richesse culturelle sans limite et une bataille contre les stigmates, les stéréotypes, les références, l'absence de neutralité qui nous renvoient sans cesse à nos "racines". À l'étranger.
Quand on est une femme noire en France, on fouille, on tente, on tâtonne afin de trouver le moyen de dépasser la question des origines et simplement afin d’être soi-même. On se transforme et se renouvelle à mesure des expériences qu'on vit intérieurement afin de ne pas se laisser envahir par les pensées identitaires et de se positionner comme un produit plus ou moins équilibré des deux Mondes.
Ne jamais vraiment être dedans, ou dehors, mais à la /frontière/.
Bruts, colorés et aériens, voici les clichés de Niouma Malik, pris par moi-même pour illustrer cette belle introspection humaine.
"I am black and beautiful, O daughters of Jerusalem, like the tents of Kedar, like the curtains of Solomon"- Song of Solomon 1:5 (Cantiques des Cantiques 1:5)
Toucher la peau, c’est toucher aux sentiments les plus profonds
On le sait. Enfant, après avoir été traité de "sale noir.e" ou de "charbon', sur la simple base de notre couleur, ce n'est pas notre peau qui nous fait mal ou qu'on se met à haïr, c'est notre être tout entier.
L'Afrique marque. Et elle ne marque pas que d'une couleur mais est une partie constituante de l'identité de ses descendants. Elle moule, forme, façonne de la même manière que nous, fruits des deux continents, la transformons, la renouvelons à notre façon. Et dans ce processus, elle inscrit sur notre visage la couleur de celui qui vient d'ailleurs, qui n'est pas d'ici. Celui qui a /des origines/.
Ces pigments, qui nous définiront toute notre vie aux yeux des autres, ne représentent pas pour autant notre essence. Cette couleur qu'on porte, avec fierté, indifférence ou amertume, ne dit rien sur notre âme, sur la couleur et le contenu de notre coeur. Elle ne définit en rien nos accomplissements, notre réussite, la personne qu'on souhaite devenir. Elle joue sur notre manière d'affronter la vie, de grandir dans une société où l'on est vu comme différent, et joue parfois (souvent) comme un handicap sur notre futur mais elle ne détermine pas qui nous sommes en tant qu'êtres humains. Aucun gêne ne peut prédire ce qu'on peut ou ne peut pas faire, quand bien même ils peuvent influer sur nos opportunités ou chances de réussir.
Difficile à concevoir quand on vit avec l'appréhension d'être observé au scanner à chaque entretien d'embauche, ou quand on ose faire un peu trop de bruit, c’est vrai.
Quid de la femme noire "traditionnelle" en Occident ?
Mais qui sont véritablement ces femmes noires "à la mode", qui arrivent à transcender les frontières et à se faire accepter avec leur double culture en Occident ?
Beaucoup vivent dans une sorte de dissonance, entre le sentiment d'être plus trendy que jamais sur Instagram et dans les campagnes publicitaires et, dans la vie réelle, le fait de subir les mêmes stigmates, remarques déplaisantes, regards lubriques, et discours racistes qu’avant. Et sans aller jusque là, la représentation n'est autorisée que pour celles qui présentent des critères "acceptables". Ce qu'on voit dans tout ça, ce n’est pas tant qu'il n'y a pas de place pour les femmes noires, mais plutôt qu'il n'y a pas de places pour toutes les femmes noires dans cette société.
Pour celles qui paraissent encore trop attachées à l'image de la femme noire traditionnelle, et pour celles qui ne répondent pas aux attentes (esthétiques, sociales, culturelles) de leur interlocuteur et à la mode, elles semblent ne servir qu'à assurer la diversité, accentuer la différence, garantir le côté /cool/, sans pour autant avoir la possibilité de réellement s'asseoir à la table des discussions.

"Melanin power", "black girl magic", tous ces termes résonnent comme des expressions à la mode, qui excluent en réalité les femmes noires qui portent leurs traditions comme un étendard sans se préoccuper de cacher ce qui pourrait déranger. Ce phénomène de déconnection paraît encore plus fort aujourd'hui, à l'heure où l'obsession pour la femme noire se révèle davantage dans l'appropriation culturelle de ses traits, coutumes, par des communautés extérieures.
"Melanin power", "black girl magic", tous ces termes résonnent comme des expressions à la mode, qui excluent en réalité les femmes noires qui portent leurs traditions comme un étendard sans se préoccuper de cacher ce qui pourrait déranger. Ce phénomène de déconnection paraît encore plus fort aujourd'hui, à l'heure où l'obsession pour la femme noire se révèle davantage dans l'appropriation culturelle de ses traits, coutumes, par des communautés extérieures.
Accepter la part d'Afrique qu'il y a en nous est un défi personnel qu'on se lance, quant on commence à prendre conscience de qui on est et de qui on veut être dans un pays qui semble refuser qu'il est le nôtre aussi, même quand on est une immigrée de deuxième ou troisième génération. C'est accepter, concilier les pôles qui nous définissent et apprendre à embrasser ses racines, même lorsqu'elles ont à plusieurs reprises subies les moqueries, les regards méprisants et réprobateurs des camarades de classe, des profs, des collègues de bureau, des journalistes, des voisins qui se plaignent des odeurs de mafé dans le couloir ou qui idolâtrent la capacité des femmes noires à pouvoir porter toutes les couleurs. Bref, c'est un travail (émotionnel, social, cognitif, voire physique) considérable.
La mission des femmes noires en Occident, c'est d'allier le Nord et le Sud, apprendre à jongler, à composer avec les deux pour donner lieu à une mixture magique.
"Comprendre en profondeur la tradition, c'était aussi savoir l'interpréter au mieux. L'ancien se plaisait à rappeler que les racines connaissaient une dégé nérescence toute naturelle. Il leur fallait faire place à d'autres afin que la plante subsiste et se perpétue." - Rouge impératrice, Léonora Miano
Casser les murs, enfoncer les portes
On ne contrôle pas notre existence sur Terre, ni les opportunités et les étiquettes qu'on nous colle. Mais on peut (et on doit) refuser d'internaliser certains blocages, obstacles, freins (en tant que vérités absolues) à notre réalisation en tant que personne. Ce sont les qualités de notre coeur et le courage d'aller jusqu'au bout du plan de notre vie qui comptent. Apprendre à faire les choses, les faire bien, avec passion et humilité. Au final, le piège qu'on nous tend, c'est de se penser comme une couleur. Je ne suis pas une couleur, même si elle me constitue. Elle m'accompagne et je dois avancer avec elle.
OUI. Qu’importe le nombre de "non" qu’on pourra recevoir, c’est à nous de dire oui. C’est à nous de toujours répondre par l’affirmative, d’imposer nos combats avec intelligence et ardeur, avec persistance et compréhension de l'autre.
Garder le cœur ouvert pour comprendre la source et les raisons du rejet, et toujours pousser plus loin pour que ce rejet et l’humiliation, le sentiment d’injustice vécus ne soient jamais une prison. Pourquoi s’enfermer davantage quand le monde dans lequel on vit nous circonscrit déjà à vivre dans un cadre bien défini ? Celui de la tigresse, de la /angry black woman,/ de la femme noire différente ("non mais toi t'es pas une noire comme les autres"), intellectuelle, de la mama, de la "passive aggressive", de la light skin ou de la dark skin...
Fermées ou ouvertes, enfonçons les portes. Si le monde ne veut pas comprendre ce que ça signifie pour toi, donne à ton projet un sens et persiste. Non pas pour forcer les autres à comprendre mais pour qu’il soit si rempli, cohérent, vivant qu’il apparaisse évident pour les autres.
Rien ne viendra seul. Et se battre pour se constituer en tant que femme noire dans une société qui semble rejeter tout ce qui constitue notre identité, c'est rendre sa réussite plus savoureuse. Il faut faire preuve d'une gymnastique culturelle et sociale sans borne, pour déjouer l'absence de privilèges et jongler entre les différents pans de son identité jusqu'à ce qu'ils ne fassent plus qu'un. Mais ça en devient un talent, et une force.
Il serait temps, enfin, d'être fières, de célébrer ce que Dieu nous a parfaitement donné, sans arrogance ou prétention. D'embrasser son identité, mais jamais avec vanité. De dévier les tromperies des réseaux sociaux et la célébration hyperbolique de la femme noire.
Être une "glowing brown skin girl" dans sa bio Instagram ou Twitter ne dit rien sur notre âme, sur la couleur et le contenu de notre coeur. Ça ne définit en rien nos accomplissements, notre réussite. Nous avons, femmes noires, en nous-mêmes les outils pour briser l'autocensure, les clichés, les inégalités et le plafond de verre mental qu'ils forment.
Il serait temps, enfin, d'être fières, de célébrer ce que Dieu nous a parfaitement donné, sans arrogance ou prétention. D'embrasser son identité, mais jamais avec vanité. De dévier les tromperies des réseaux sociaux et la célébration hyperbolique de la femme noire.
Être une "glowing brown skin girl" dans sa bio Instagram ou Twitter ne dit rien sur notre âme, sur la couleur et le contenu de notre coeur. Ça ne définit en rien nos accomplissements, notre réussite. Nous avons, femmes noires, en nous-mêmes les outils pour briser l'autocensure, les clichés, les inégalités et le plafond de verre mental qu'ils forment.
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