Annabelle, Kim Possible du "lifestyle conscient"
Tu es jeune. Tu gagnes en pouvoir d'achat et tu te sens enfin libre de consommer ce que TOI tu veux, quand TU le veux. Tu es malgré tout assez ennuyé.e qu'on te demande de faire des efforts sur ce que tu achètes, qu'on "t'impose" de consommer différemment (et qu'est-ce que ça signifie réellement ?). Tu es même plutôt agacé.e quand tu entends qu'il faut arrêter de manger autant de viande, de boire du lait d'origine animale, de faire du shopping compulsif en ligne, de changer de téléphone tous les ans.
Et pourtant.
On le sait et on ne cesse de le répéter, les ressources naturelles sont loin d'être illimitées. Et on a aussi conscience (ou pas assez) que nous n'avons et n'aurons à disposition qu'une seule et unique maison, dont nous ne sommes d'ailleurs pas propriétaires.
L'idée n'est pas de porter haut et fort l'étiquette d'écolo. Consommer le "strict minimum", ce n'est pas devenir automatiquement green militant, vivre avec rien et renoncer totalement à ce qui peut nous faire plaisir. C'est plutôt faire le choix d'assumer nos responsabilités en tant qu'Homme. De sortir de l'assoupissement conscient ou inconscient face à la surexploitation de ce qui a été crée avant nous-mêmes. Ce n'est pas juste une prise de conscience mais une injonction, qu'on le veuille ou non, à prendre soin de ce qui nous entoure et à modifier notre rapport au monde, notre manière de vivre, avec plus de respect, d'humilité, de sobriété et d'altruisme.
La "crise écologique" n'est finalement pas un phénomène tiers, à part, mais recoupe une véritable crise de sens et touche notre identité humaine, dans ce qu'elle a de plus intime, qu'on le veuille ou non. Elle nous fait réfléchir différemment : quel est mon impact sur les autres ? quel héritage je veux laisser ? quelle est ma responsabilité ? C'est une crise qui remet en jeu nos désirs et notre place dans ce monde.
L'idée, là encore, ce n'est pas de voir le monde avec les lunettes du fataliste, mais d'au contraire repenser nos manières de faire, avec l'envie de laisser plus qu'une trace noire sur la planète bleue. Et ce par tous les moyens.
Pour Annabelle, créatrice de la chaîne YouTube "A.I.M", c'est le "lifestyle conscient" comme elle l'explique si bien. C'est réancrer son identité dans un environnement sociétal et naturel plus sain. Dans cette interview, elle me raconte d'où elle vient, qui elle est et vers où elle désire aller. Annabelle a fait le choix, comme de plus en plus de jeunes, de mettre sa plateforme et sa notoriété au service de causes cruciales, dont l'écologie, en prenant soin de toujours rappeler que chaque problématique sociale en recoupe d'autres. De sortir des cases, ou plutôt de s'approprier les cases de son choix.
Focus sur le personnage atypique, spontané, optimiste et lumineux qui m'a inspiré cette réflexion.
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Bonjour, je m’appelle Annabelle, j’ai 22 ans et je fais des vidéos sur YouTube. Je parle de beaucoup de choses… Je parle de mode éthique, d’écologie, de beauté naturelle, de confiance en soi. Moi j’appelle ça du lifestyle conscient. Je parle de pleins de sujets, avec finalement un regard différent de celui des autres. C’est du contenu assez feel good, mais en même temps engagé.
Tu parles de "lifestyle conscient"... Quels sont tes terrains d'engagement justement ?
C'est l'antiracisme, c'est l'égalité, et l'écologie bien évidemment parce que ces luttes n'auraient plus de sens si l'humanité s'éteignait. Parce que c'est de ça qu'on parle quand on parle d'écologie : on parle d'extinction de l'humanité, d'extinction de l'espèce humaine, de l'absence de ressources, d'eau, de nourriture, de sol fertile, d'air..."respirable", comme on pourrait dire. Pour l'écologie, c'est arrivé très tôt et très naturellement dans ma vie parce que mon père était déjà très dans ce délire là. Chez moi, on mangeait bio depuis des années, c'est des sujets qui venaient déjà à la maison.Ça a été assez facile pour moi, et je sais que le cheminement n'est pas facile pour tout le monde parce que le temps de réaliser ce que ça veut dire déjà ça prend du temps. Il faut arrêter de faire un déni, il faut avoir l'énergie d'agir à son échelle. Je trouve que c'est un cheminement qui est assez long, mais tout le monde peut en prendre conscience, parce que ça touche tout le monde, littéralement tout le monde. Personne aujourd'hui n'est pas concerné par les problèmes écologiques. Donc pour moi c'était assez simple parce que j'ai baigné dedans, mais je pense aussi que c'est le sujet auquel on peut le plus facilement s'intéresser.
Sur tes plateformes, notamment ton Instagram, tu mets souvent en avant des marques de mode éthique et la "seconde main" en général. Au vue de l'ampleur de l'engouement pour le vintage ces dernières années, est-ce que tu penses ce n'est qu'une tendance, une mode passagère ?
Je ne pense pas du tout que porter des vêtements de seconde main est une mode, une tendance. Ça en est une en un sens, mais ce n’est pas quelque chose qui va se perdre, qui va s’éteindre, ne durer qu’une saison et on n’en reparlera plus jamais.
Je pense que le fait de porter des vêtements de seconde main, ça répond à pleins de critères que la jeunesse et la moins jeunesse attendaient, c’est-à-dire : acheter des vêtements moins chers, de bonne qualité ou de moins bonne qualité, mais en tout cas à un coût moindre, et en même temps, au-delà de faire des économies, on fait des bonnes actions pour l’humain et l’environnement, parce que grâce à ça on produit moins de vêtements et on contribue moins à l’effet de fast fashion. Porter ou acheter des vêtements de seconde main, c’est sauver des vêtements qui auraient fini brûlés ou incinérés ou dans des décharges, donc c’est une bonne action. C’est une alternative pour pouvoir s’habiller comme on le souhaite, de pouvoir s’habiller en hiver, de pouvoir porter des vêtements légers en été, de pouvoir changer de garde robe, mais en ayant le moins d’impact négatif possible sur autrui et sur ce qui nous entoure.
C’est une prise de conscience, au-delà d’un effet de mode, et je pense que ce n’est pas encore assez la mode justement. Je trouve que ce n’est pas assez mis en avant et qu’on n’en parlera jamais assez, et que ça ne sera jamais assez à la mode. Il faut qu’on en parle encore, qu’on en porte encore, qu’on en achète encore, même s’il faut également à côté de ça réduire ses achats. Tomber dans une surconsommation du vêtement de seconde main, ça n’aurait pas non plus beaucoup de sens. C’est un cercle vertueux, ce n’est que du positif.
Là encore, ça dépend de comment on définit la mode. Si ça passe par le biais d'une mode pour que les gens s'aiment davantage, je ne suis pas contre, c'est une mode saine. Et si ce n'est pas une mode, c'est un mode de vie nécessaire pour se sentir mieux avec soi-même, et avec les autres même d'ailleurs. Moi perso j'ai passé des années et des années à comprendre ce qu'il fallait que je sois, à comprendre comment plaire aux autres. Alors que notre préoccupation première ça devrait plutôt être de trouver ce qui nous rend heureux, comment nous on se sent bien, comment on se sent beau ou belle, bien dans son corps et dans ses vêtements, c'est ça la vraie quête. Ce mouvement vers l'avant est nécessaire !
L'afroféminisme, ça t'a toujours paru être une "lutte naturelle "?
Je suis une fille afro descendante, donc je suis directement concernée par ces discriminations, parce que je les vis au quotidien, depuis toute petite. Même si je ne voulais pas me considérer comme une "féministe", je le serais par essence parce que j'ai pas envie qu'on m'enlève des droits et que j'ai envie d'en gagner davantage, parce que j'ai envie d'avoir les mêmes que les autres. Il y a un jour où on se dit "Bon j'en ai marre, donc il faut que je fasse quelque chose". C'est vraiment le vécu qui m'y a conduite. Tu te dis "Attends mais ça c'est du sexisme ce que je vis ! Moi je suis contre le sexisme, donc je suis féministe à partir de là". Pareil pour le racisme, donc j'agis, je vais en parler, je vais m'exprimer, je vais me mettre dans l'espace public ! Parce qu'aujourd'hui, ne serait-ce qu'être une personne racisée, une femme racisée dans l'espace public, s'imposer dans certains milieux où l'on n'est pas vu, où l'on n'est pas là, où on ne nous fait pas entrer, comme l'écologie, c'est un engagement afro féministe, parce que par essence, c'est ce que tu représentes. Ce sont des choses qui sont collées à ma peau, qui font partie de mon quotidien, donc autant mettre des mots dessus.
On peut dire que ton identité en tant que femme noire, notamment dans la communauté écologiste, est devenue politique "malgré toi" ?
Moi je suis métisse afro descendante, d'un parent blanc et d'un parent noir, et mon périple de personne racisée serait un peu trop long à raconter, mais je sais qu'il y a pleins de moments où je ne savais pas où me mettre dans la vie. Où je n'étais ni acceptée par les personnes blanches, ni acceptée par les personnes noires. En fait, je me rendais compte que mon identité changeait en fonction d'avec qui j'étais, sans jamais être moi. À chaque fois que j'arrivais dans un groupe ou quelque part, c'était "Bon, comment je vais être perçue aujourd'hui ?". Mon rapport à mes origines, il était en perpétuel changement parce qu'il changeait selon le regard de l'autre. J'ai construit la personne que je suis à travers le regard des autres, toute ma vie. Maintenant je ne pose même plus la question, même si ce n'est pas si simple parce que les gens verront ce qu'ils voudront voir de moi, notamment à travers cette question magnifique : "Mais t'es de quelle origine ?". C'est là que c'est dérangeant, cette espèce de dissociation entre ta personne et tes origines. C'est un frein dans la vie, parce que moi on m'a fait comprendre à plusieurs reprises que peut-être que si je n'avais pas autant de contrats, de marques, de visibilité, d'aide que les autres, c'est peut être parce que je n'étais pas blanche, et donc pas neutre. Quand tu es noir, d'office tu as une étiquette de "Ah regardez on l'a pris, c'est qu'on est un peu engagés quand même". À partir du moment où tu es racisé, directement c'est un acte engagé, alors que des fois, tu as juste envie d'être neutre, d'être une personne. Je me suis dit que quoi qu'il arrive ma place sera considérée comme politique, alors autant que ça le soit vraiment, autant que je m'y engage vraiment à fond et que ça serve à quelque chose.
Pour finir, c'est quoi pour toi, une "girl boss" ?
Pour moi une girl boss, c'est une meuf qui ne se pose pas 600 000 questions. Qui se dit "Hey, demain je veux faire ça. Non pas demain, j'ai envie de faire ça tout de suite !". Qui ne va pas se sentir illégitime tout le temps à parler, s'imposer, faire, agir.
C'est une meuf qui essaye et qui s'en fout de rater. Une meuf qui rate et qui est contente et qui se dit "je m'en fous, je referai, je vais même changer de truc". Qui sait se remettre en question, mais qui ne laisse pas la remise en question la figer. Une meuf qui est toujours dans l'action, qui est toujours prête à trouver une solution et à qui tu fais confiance. Une meuf qui agit et qui fait.
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Au cas où toi qui me lis l'oublie, il y a toujours un Lendemain. Et ce Lendemain sera ce qu'on décide d'en faire. Finalement, c'est à notre génération qu'incombe cette tâche ingrate, mais palpitante, de faire le choix, pour une fois, de l'Autre.
Retrouve Annabelle sur YouTube et Instagram.
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