DES FEMMES MUSULMANES ET VOILÉES. PAS DES FEMMES-VOILES

"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche. Ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir"

 Aimé Césaire




Moïsette Loubelo / millenaryartC’est à la mode. Dans une surabondance médiatique de discours alarmistes, on pourrait croire que le texte qui suit est un énième plaidoyer pour détruire les propos islamophobes de gens qui ne comprennent pas le sens d’un geste si beau, si simple et pourtant si essentiel à des millions de femmes à qui on empêche de vivre librement leur foi. Il n’est pas question ici de laïcité ou d’une identité nationale mythique. Il n’est pas question de se demander si elles ont le droit ou non de porter le hijab, car le fait est qu’on ne pourra jamais leur ôter un droit qui est le leur. 





Non, il est question ici de femmes. De femmes qui vivent une relation à part entière avec leur voile. Une relation fusionnelle, d’amour, de foi, de doutes, de rejet, de respect. Pour changer les discours, changer l’œil à travers lequel on les voit, c’est-à-dire comme l’objet qu’elles portent. Pour comprendre comment ce choix se fait et quelle relation se noue entre une femme et son voile au fil des années, des expériences, des rencontres, des bonnes ou mauvaises critiques. 

Moïsette Loubelo / millenaryartVoici deux rencontres qui ont le goût des derniers jours de chaleur, avec la prédiction d’un retour en force des pensées obscurantistes. Volonté de vie et esprit de liberté flottaient dans l’air, avec l’envie de sublimer la beauté d’un mouvement qu’on retrouve dans tant de croyances et de religions, et qui vaut pour Asma et Chaima, bien plus que tous les mots du monde. Loin des horror stories à la une, qui grossissent et durcissent les traits d’une confession jamais observée sous l’angle de la foi, de la spiritualité, de la pratique individuelle, mais toujours dans ses généralités, ses représentations macroscopiques. 

Asma et Chaima, deux femmes aux chemins de vie et spirituels différents, l’une réservée, l’autre explosive, l’une en banlieue parisienne, l’autre à Nîmes, mais toutes deux liées par une même envie : affirmer leur identité de femme musulmane tout en transformant les mentalités face au port du voile, et plus globalement, promouvoir une pratique de l’Islam sans caricature, juste et vraie. 

PORTRAITS. 

Moïsette Loubelo / millenaryart
Chaima, 21 ans, @by_miy
Moïsette Loubelo / millenaryart
Asma, 20 ans, @asmaabdh




















Un soir d’Août, je clique sur le compte Instagram de @by_miy. La phrase « OSE ÊTRE TOI » apparaît en majuscule dans la bio de Chaima. Une affirmation forte quand on appartient à une communauté où les femmes sont toujours accusées ou prises en pitié, parce qu’elles ont fait le choix de se réapproprier leur corps par foi et pour leur foi. Une interprétation ethnocentrée qui met à l’écart un trait propre de l’être humain : sa faculté de jugement et son libre arbitre. 
En prenant la voie de « l’influence », pas vraiment par choix, Chaima ne souhaite qu’une seule chose : inciter les autres à être eux-mêmes. Et ce justement parce qu’elle a conscience que c’est un processus difficile mais essentiel, surtout quand on manifeste son appartenance à une confession aussi controversée que l’Islam. 

« Je veux surtout qu’ils puissent s’exprimer à leur façon, que ce soit par la mode, le dessin, la musique, le sport ou autre… Qu’ils puissent s’accepter, accepter leurs manières d’être et leurs différences ».

Moïsette Loubelo / millenaryartMoïsette Loubelo / millenaryartSi elle y affiche très clairement ses convictions, son profil est tout sauf « hijabocentré ». La capacité de chacun à s’identifier à son contenu et à accrocher à sa personnalité d’ovni la distingue du récent boom de « tutos hijab » tous plus repris les uns que les autres.


Pour ces deux jeunes femmes, le voile ne représente en rien un obstacle, ni au fait d’être elles-mêmes à 100%, ni à leur propre réussite. 

« Professionnellement parlant, étant donné qu’on vit dans une société « laïque », entre guillemets, c’est assez compliqué. Quand tu postules 50 fois, que tu vois que ta copine a été prise alors que tu es plus qualifiée pour le poste, tu te dis c’est pas grave. Je me mets du baume au cœur en me disant que s’il y a des portes qui se ferment, c’est pour que de meilleures s’ouvrent. Je pars toujours optimiste. Je ne perds jamais confiance en Dieu. » Chaima


Porter le voile au quotidien est un challenge qu’elles embrassent volontiers. 

« C’est vrai que c’est compliqué dans certains domaines. Pour les femmes voilées ingénieures par exemple. Mais tant que tu as les compétences, personne ne pourra te fermer les portes. Soyez les meilleures dans votre domaine. Il n’y a personne qui pourra vous dire non, voile ou pas voile. »  Asma  

Moïsette Loubelo / millenaryart
Quelle limite franchit notre société quand porter le voile devient l’excuse ultime pour dénigrer ou fermer les yeux sur les qualités humaines d’une personne, qui paraît comme un voile ambulant ? Est-ce qu’on peut être moins femme, moins performante parce qu’on fait le choix d’extérioriser sa foi à sa manière ? À ces questions évidemment rhétoriques, beaucoup y répondent justement par la performance. Porter le voile, finalement, permet une prise de pouvoir, de gagner en force et en courage. Cet objet si simple, c’est lui-même qui a permis à Asma et Chaima de se trouver. Il est devenu au cours du temps un objet de réflexion, qui les pousse à se poser des questions, à s’interroger sur qui elles sont, à se remettre en question, quand ce travail semble inexistant chez leurs principaux détracteurs.  

Ces deux rencontres m’ont permises de poser la question du voile différemment. Finalement, ce n’était pas tant ce que le voile représentait pour elles qui m’intéressait, mais plutôt le fait même de mettre son voile. 
À la question « Comment ça t’est venu de porter le voile ? », mes deux modèles ont répondu unanimement, sans le savoir « Naturellement ».
Pour Asma, c’est parti d’une plaisanterie de sa mère. « Si on déménage, tu serais cap de te voiler ? ». Défi relevé pour une make-up artist en devenir, qui savait théoriquement pourquoi elle devait porter le voile, avant de construire une réelle relation avec lui. 

« Pour moi, ce n’est pas seulement un acte de soumission à Dieu, car si on doit le porter, il y a des raisons pour notre bien-être. Le fait de se voiler, c’est porter sa religion, ses convictions, sa foi. Et même si tout le monde dehors ne le porte pas, moi je le porte. Je le porte pour moi.» 

Comme toute pratique sociale, se voiler prend un sens subjectif, propre à soi, qui intègre un comportement collectif tout en le dépassant. Réfléchir du point de vue de l’acteur et non de l'institution, c’est observer que ce qui compte réellement sont moins les raisons générales pour lesquelles on porte le hijab, que la manière dont on s’adapte au monde dans lequel on vit avec, et comme cette adaptation se construit et évolue.  

« Si j’enlève mon voile, oui on va voir mes cheveux, mais après ? »

Moïsette Loubelo / millenaryartMoïsette Loubelo / millenaryartMoïsette Loubelo / millenaryart






« À L’adolescence, c’était plus difficile de m’adapter. Je me remettais en question sur ma personne, mais jamais sur ma religion. Comment faire abstraction des influences ? Des mauvais regards ? […] Un jour, on m’a même arraché le bras, on a limite faillit me trainer par terre. J’étais jeune et même là je me suis dit : c’est pas possible que mon voile dérange autant. Ça m’a donné encore plus la niaque de vouloir le porter. »  

Sortir hors de sa zone de confort. C’est ce que décide de faire Chaima en intègrant un bon lycée. Avec des jeunes filles venant d’horizons différents qui lui appris le véritable sens des mots tolérance et respect

« Avec les profs c’était plus compliqué. À l’école, je faisais juste acte de présence, et encore, parfois je n’y allais pas du tout, j’étais saoulée. Mais ça ne m’a pas empêché d’avoir mon bac, et tous mes autres diplômes. Et j’ai trouvé d’autres moyens de me cultiver. Rien qu’en parlant avec toi, je le fais. »

Moïsette Loubelo / millenaryart



Ce qui ne l’empêche pas d’être sans cesse incendiée sur son compte Instagram par des femmes scandalisées, en réalité effrayées, par sa confiance en soi. Une confiance en soi à l’inverse de l’égoïsme, qui se base sur une remise en question perpétuelle, et sur le sentiment de devoir agir pas seulement pour soi, mais pour toutes celles qui lui ressemblent. 






« Tu t’es déjà remise en question sur le fait d’être une femme voilée et d’être dans la mode ? 


 Je t’avoue que oui. Quand on poste sur les réseaux sociaux, on a une certaine responsabilité. J’affiche quand même ma confession, et je ne veux pas influencer la femme à se dénuder. J’expose mon monde, je ne me prends pas la tête, mais je garde en tête cette responsabilité. Il y a beaucoup de jeunes filles qui me suivent. Je ne veux pas les attirer vers quelque chose dans laquelle je ne serai pas moi-même à l’aise. »  



Moïsette Loubelo / millenaryart


















« Sur quoi tu bâtis ta confiance en toi ? »
Le collège, c’est la loi de la jungle. C’est à ce moment que Chaima vit un harcèlement qui forme le pilier de son évolution et de son cheminement vers le voile. 
Dans le monde professionnel, la loi du plus fort reste reine. Pour ces jeunes femmes qui vivent avec le sentiment de ne pas avoir le droit d’exister, il faut montrer plus, faire plus, et en dire le moins possible. 

« C’est assez compliqué pour les gens de nous embaucher. Et je peux le comprendre, je fais preuve d’empathie, c’est compliqué pour eux de voir une femme voilée, couvrir ce qu’ils considèrent « leur féminité » parce qu’ils n’ont pas l’habitude. Ce n’est pas grave, mais quand tu dialogues avec eux, et qu’après ça ils sont toujours aussi fermés, c’est qu’il s’agit d’une décision de leur part et plus d’une incompréhension. C’est leur choix. »  Chaima


Est-ce qu’on ne rendrait pas le port du voile plus difficile qu’il ne l’est vraiment, parce qu’on ne le porte pas, musulman.e ou non ?


Moïsette Loubelo / millenaryart
« Tous les jours, on nous donne l’impression que tout le monde nous regarde, qu’on n’est pas pareil qu'eux, qu’on ne respire pas le même air, qu’on ne peut pas plaire, alors que voile ou non ça ne change rien. Tu veux aller à la piscine ? Il y en aura toujours une pour femmes. C’est pas tellement là où réside le problème. C’est plus que tant qu’on n’a pas essayé, on a l’impression que c’est dur. Et c’est encore plus le cas dans notre génération, parce que c’est difficile de croire en des choses, de s’engager réellement pour ce en quoi on croit. C’est pour ça que j’ai envie de me lancer dans quelque chose, un blog par exemple, pour parler ouvertement de ces questions-là. De ce que c’est vraiment de porter son voile au quotidien. Beaucoup se lanceraient ou arrêteraient de le regarder de loin.»  Asma

Finalement, garder son voile est pour Asma un défi personnel. Envers et contre tous ceux qui le qualifie de fardeau. C’est même le point de rencontre entre tradition, religion et modernité. Sans obéir uniquement aux lois de l’une ou de l’autre, elle se voit comme un composé plus ou moins équilibré des trois. Et c’est parce qu’elle s’impose comme une frontière entre ces mondes qu’elle interroge.

« Quand on me voit, on ne se dit pas forcément : cette fille connaît l’Islam. Même si les gens ne le disent pas, ils le pensent souvent. On me voit comme une fille qui porte le voile soit pour le porter, soit parce que son père ou ses frères l’ont forcé à le porter, et qui parce qu’elle se sent trop compressée dans son voile se maquille par frustration, pour compenser, pour plaire. Alors que j’étudie chaque jour le Coran et que je sais qui je suis. Mais je préfère ça, leur prouver le contraire en leur montrant une image qui est en réalité ma propre appropriation de la foi. »



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LE MOT DE LA FIN 

Alors où est la radicalité ? Où est le communautarisme qu’on colle à la peau de ces femmes au cœur grand ouvert, tourné vers autrui ? Qui porte réellement des œillères et veut imposer ses lois et ses pratiques ? Dans un pays où certaines doivent encore chercher les interstices de liberté d’une société fermée, Asma et Chaima montrent finalement une image de la France égalitaire, libre et fraternelle plus vivante et réelle que dans tous les discours épuisés des avocats de l’identité française. 

Et si on choisissait de ne plus parler à leur place, mais qu’on laissait enfin s’exprimer ces femmes qui ne renoncent ni à leurs rêves et ambitions, ni à leur envie d’être elles-mêmes, même face aux injustices et à l’adversité ? Qui combattent pour elles mais aussi pour la liberté de nous autres, voilées ou non, musulmanes ou pas ?  


Vive la République, et vive la France, des couleurs. 




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