INVISIBLE EST MA COULEUR : je suis de la couleur de ceux qu'on ne voit pas

Place de la Bastille. Jeudi 5 Juillet.


" Je suis de la couleur de ceux qu'on persécute 

Sans aimer, sans haïr les drapeaux différents,

Partout où l'Homme souffre il me voit dans ses rangs.

Plus une race humaine est vaincue et flétrie, 

Plus elle devient ma patrie. "


Alphonse de lamartine



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millenaryart - lettre ouverte









à l'heure où les terrasses des cafés s'illuminent et deviennent noires de monde, 
où les dialogues s'enivrent peu à peu, où l'happy hour prend fin aux alentours de la " colonne de juillet " à la torche dorée,  
le génie isolé au milieu de BROUHAHA incessant et éclairé par les derniers rais de soleil, 
lui ressemble. 

assise sur une palette en bois, dans ses pensées, f. coulibaly berce sa fille, petite merveille d'à peine un mois. 
les sentiments visibles sur son visage sont d'une profondeur sans limite, devenant presque indiscernables. 
la fatigue, celle du corps comme celle du coeur, est quant à elle bien épaisse. 






comme d'autres femmes arrivées seules en france, f. n'a pas tous ses repères. 
pour elle, bastille n'est qu'une station de métro, et la nouvelle adresse de son hôtel. 

deux semaines après avoir quitté un campement de porte de clignancourt, elle trouve son seul exutoire au pied d'un opéra dont elle ne connaît pas le nom.


- d'où venez-vous ?
- de côte d'ivoire. 
- et vous êtes ici toute seule ? 
- oui, avec le bébé.je n'ai pas de mère.







élever un enfant seulE relève d'une force d'esprit inestimable.
élever un NOURRISSON seule, sans papiers ou domicile fixe, dans un pays qui nous est étrangÈRE et à qui on est étranger relève de la prouesse. du miracle.




- ma mère est arrivée seule ici avec mes grands frères, et ça a été dur. vous savez, si je vous demande si ça va, c'est parce que tout le monde s'en fiche ici. Ils ne savent pas, ils ne COMPRENNENt pas. ils sont nés ici en france et ils ne savent pas que c'est très difficile. 
- oui, c'est pas facile... vraiment. tu es née en france ? 
- oui, enfin je suis née à... vers paris.
- Hm. ca va le travail ?
- je ne vais pas au travail, je suis à l'école encore ! mais oui, ça va. 


c'est sa tristesse et sa solitude qui m'ont attiré à elle. qui m'ont poussé à la reconnaître comme une personne et non pas comme un élément du décor parisien, devenu habituel malgrè lui. 
parce qu'au final, elles étaient les deux plus vivantes de tous. 

dans l'indifférence et le froid général contrastant avec une  température caniculaire, elles ont dégagé une chaleur indescriptible. une chaleur non sans souffrance, mais une chaleur tout de même. 

au fil de la discussion, les pleurs du bébé se font plus insistants, la faim sans doute. la fatigue de la mère prend peu à peu le dessus, sans qu'elle ne perde la force de son regard, où cohabitent espoir et rejet de la résignation. 






elle croit en dieu. 
- qu'allah vous facilite, vous et votre bébé, et qu'il vous accompagne. 
- amine, amine, amine. merci.


elle refuse GENTIMENT de se laisser prendre en photo, la sensation d'être capturée dans un appareil la faisant souffrir. je range mon appareil et je me promets de lui dresser un portrait digne de ce nom, aussi ressemblant et puissant qu'il puisse être. 
mêlant la douceur et le courage d'une mère qui se bat, contenant la fragilité de l'existence et la volonté de survivre puis de vivre. d'y croire. 

alors que je réfléchissais à mes projets avortés, à ma vie future, croiser le regard de cette jeune femme, incapable de se souvenir de son propre âge, m'a suffit à reconsidérer la vie. à déplacer mon regard. 
alors qu'on ne sait pas où passer ses vacances, alors qu'on déprime pour deux euros qui nous manquent, d'autres cherchent à prendre racine dans le bitume parisien, sans attache, sans parent, sans pause, avec pour seul but avancer et survivre.

j'ai vu en elle que certains COMBATS qu'on croit perdus d'avance ou terminés sont encore au stade EMBRYONNAIRE. 
j'ai vu à travers elle une mère, sans perspective d'avenir mais DÉTERMINÉE à donner à son enfant tout ce qu'elle peut. 

le pas lourd, en colère contre un monde à la fois si beau dans ses semences et si injuste dans ses lois, triste et un peu vidée, je remercie le ciel de m'avoir fait rencontrer f. de m'avoir permis de lui rendre son discours. de l'avoir laissée me raconter. 

donnez aux invisibles, à ceux qu'on ne veut pas ou plus voir un visage. ne le camouflez pas. donnez-leur de l'amour. offrez leur l'humanité dont ils ont besoin, et dont nous-mêmes avons besoin. 
ne les laissez pas croire que parmi des milliers de passants, pas un seul ne saura être sensible à leurs déchirures, à leur déracinement, à leur lutte quotidienne. 




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